Les notaires peuvent, temporairement, recevoir des actes authentiques à distance. - La réception repose sur une visioconférence sécurisée et sur l'utilisation de signatures électroniques qualifiées.
L'épidémie de covid-19 et les mesures de confinement adoptées en vue de la juguler empêchent de recevoir les actes notariés dans les conditions habituelles. Le recours à une procuration sous seing privé permet de pallier certaines difficultés, mais il s'agit d'un pis-aller qui n'est du reste pas efficace à l'égard des actes dont le caractère authentique est requis à peine de nullité. Afin d'éviter que les justiciables soient, de manière prolongée, privés d'accès au service public notarial, le décret n° 2020-395 du 3 avril 2020 ouvre la voie à la réception d'actes authentiques à distance : « le notaire instrumentaire peut [...] établir un acte notarié sur support électronique lorsqu'une ou toutes les parties ou toute autre personne concourant à l'acte ne sont ni présentes ni représentées ».
Ce texte n'a rien d'anodin, qui touche à la manière dont le notaire peut recevoir l'expression d'un consentement dont il est le « témoin privilégié ». Il va beaucoup plus loin que l'article 20 du décret n° 71-941 du 26 novembre 1971, dans lequel deux notaires communiquent entre eux à distance, mais chacun en présence physique d'un client. Les circonstances exceptionnelles que nous vivons auront finalement eu raison des réticences à l'égard d'une réception « entièrement à distance », que les juristes peuvent estimer incompatible avec les exigences de l'authenticité. Il est vrai que l'évolution n'est pas achevée ni même définitive car le dispositif nouveau, conçu comme une mesure d'exception, est affecté d'un caractère temporaire : les actes devront de nouveau être reçus selon les modalités classiques à l'expiration d'un délai d'un mois suivant la cessation de l'état d'urgence sanitaire.
Il n'est pas impossible que cette manière d'instrumenter soit, à terme, définitivement entérinée dans notre législation, après que la pratique y eut goûté. Ce qui fait aujourd'hui figure de mesure temporaire pourrait bien rétrospectivement constituer les premiers pas de l'acte authentique à distance. La France rejoindrait alors plusieurs pays européens ayant déjà mis en place des modalités de réception à distance faisant la part belle à la visioconférence (not. Autriche, Estonie, Lettonie). Le notariat se doterait ainsi d'un outil nouveau comblant les attentes d'une clientèle qui sollicite toujours davantage les interactions à distance (que ce soit avec une banque, une administration ou même un médecin), et répondant aux besoins des Français de l'étranger qui ne peuvent plus recourir aux services des postes diplomatiques et consulaires aujourd'hui privés de leurs attributions notariales.
On pourra naturellement discuter du bien-fondé de cette évolution, mais tout est ici affaire de degré : la question n'est pas de savoir si l'échange à distance est parfaitement semblable à une rencontre en face-à-face, mais s'il en est suffisamment proche. L'objet du présent décret n'est pas de constater une stricte égalité mais plutôt d'affirmer une équivalence (un peu comme la loi a mis au même plan l'écrit papier et l'écrit électronique en dépit de tout ce qui peut les séparer). Encore cette équivalence est-elle purement fonctionnelle. Le décret ne consacre pas à proprement parler l'idée d'une « présence virtuelle », mais admet plus modestement qu'une communication à distance puisse, à certaines conditions, pallier une absence (les parties ne sont, aux termes du décret, « ni présentes ni représentées » devant le notaire instrumentaire).
• Visioconférence et signature électronique. - Si l'on entre dans le détail, on constate que le décret du 3 avril 2020 autorise l'emploi de la visioconférence, tout en l'assortissant de certaines précautions.
Premièrement, il est prévu que « l'échange des informations nécessaires à l'établissement de l'acte et le recueil, par le notaire instrumentaire, du consentement ou de la déclaration de chaque partie ou personne concourant à l'acte s'effectuent au moyen d'un système de communication et de transmission de l'information garantissant l'identification des parties, l'intégrité et la confidentialité du contenu et agréé par le Conseil supérieur du notariat ». La formule n'est pas sans rappeler l'article 16 du décret du 26 novembre 1971 qui pose des exigences comparables pour tous les actes authentiques électroniques, à cette différence près qu'elles s'étendent ici à la communication du notaire et de son client - laquelle communication n'est plus directe mais intermédiée. La nécessité d'un agrément interdit concrètement de recevoir un acte à distance en recourant aux logiciels les mieux connus du grand public (WhatsApp, Face Time, Zoom, etc.). À l'heure actuelle, le seul système ayant obtenu l'approbation du Conseil supérieur du notariat, et répondant par conséquent aux exigences réglementaires, est LifeSize (http://visio.notaires.fr/).
Deuxièmement, le décret encadre la signature des parties. À l'extrême, il eût été concevable de s'en passer purement et simplement. L'acte authentique tire en effet sa force et son autorité de la signature de l'officier public, et s'il doit en principe comporter celle des parties, il arrive qu'il soit valable en leur absence. Tel est le cas lorsqu'un des clients ne sait ou ne peut signer (D. n° 71-941, 26 nov. 1971, art. 10, al. 3), mais aussi, d'une certaine manière, lorsque l'acte est établi sur support électronique et que, faute de disposer d'instruments permettant de le signer électroniquement, les parties y font figurer une simple « image » de leur signature manuscrite (D. n° 71-941, 26 nov. 1971, art. 17, al. 3). Au rebours de cette idée, les rédacteurs du décret ont estimé que la distance physique séparant le notaire et le signataire appelait un formalisme renforcé.
Ainsi est-il prévu que « Le notaire instrumentaire recueille, simultanément avec le consentement ou la déclaration [...], la signature électronique de chaque partie ou personne concourant à l'acte au moyen d'un procédé de signature électronique qualifié répondant aux exigences du décret du 28 septembre 2017 [...] ».
• Rôle de la signature électronique. -
En exigeant l'emploi d'un instrument « qualifié », le décret impose le plus haut niveau de sécurité reconnu par la nomenclature du règlement eIDAS du 23 juillet 2014 (n° 910/2014). Ceci limite nécessairement les offres auxquelles il sera possible de recourir : il semble que le seul prestataire actuellement agréé en France pour la délivrance de signature qualifiée soit DocuSign (ssi.gouv.fr/uploads/2019_757_np.pdf), qui s'appuie lui-même sur les services de vérification d'identité développés par l'entreprise allemande IDnow. Tout cela ne paraît pas déraisonnable, puisqu'il s'agit ici d'établir un acte authentique doté d'une force probante particulière. Mais en raisonnant de la sorte, on confond la sécurité technique que peut offrir l'emploi d'un instrument de signature spécifique, avec la sécurité juridique que confère l'intervention d'un officier public. Avec la signature électronique du client, un nouveau personnage fait irruption dans le processus de réception : le « prestataire de services de confiance » chargé de délivrer le certificat de signature utilisé par le client.
• Authenticité de l'acte à distance. -
Le cœur de l'acte à distance tel que le dessine le décret du 3 avril 2020 ne réside pas dans la technique utilisée pour la signature du client, mais dans l'intervention du notaire, qui donnera lecture de l'acte aux parties, les conseillera, répondra à leurs questions et recueillera leurs consentements au même titre qu'il l'aurait fait lors d'une rencontre classique en son office. Il n'y a par conséquent guère plus de sens à contester la signature électronique ici en cause qu'il n'y en aurait à contester la signature manuscrite apposée sur un acte notarié papier ou l'image tracée à l'écran lors de la signature d'un acte notarié électronique classique.
Parlons-en ensemble !
Cette note reprend, avec son aimable autorisation, l’article de Maxime JULIENNE, agrégé des facultés de droit, professeur à l’université d’Angers, paru dans la Semaine Juridique Notariale et Immobilière du 10 avril 2020.